La lutte contre la pollution de l’air, à Paris, mais également dans toutes les zones urbanisées, est un enjeu de santé publique, impérieux et urgent. Depuis des décennies, toutes les études concordent pour dire les effets néfastes, voire mortels, de cette pollution, désormais considérée comme le plus grand risque environnemental pour la santé dans le monde.
En mars 2014, l’Organisation mondiale de la santé indiquait avec la froideur des chiffres, que 7 millions de personnes étaient décédées prématurément du fait de l’exposition à la pollution de l’air, plus du double des estimations précédentes. Faut-il également rappeler, parce qu’ils nous concernent immédiatement, les travaux de l’Observatoire de la santé en Ile de France qui année après année, mettent en évidence les liens de court et de moyens termes entre les niveaux de pollution atmosphérique et la fréquence des problèmes de santé, qu’ils soient respiratoires, vasculaires, cardiaques ou cancéreux?
Aujourd’hui, malgré les plans déjà mis en œuvre depuis près de deux décennies, près d’un parisien sur deux reste exposé à des niveaux de pollution de l’air dépassant les normes européennes, à la fois pour les particules fines (diesel) et les dioxydes d’azote, et Paris connaît des jours de dépassement la moitié de l’année, soit le taux national le plus fort. De très nombreuses villes d’Europe ont été confrontées à la même problématique et 180 d’entre elles, ont réussi à faire baisser sérieusement la pollution en créant des zones à faibles émissions, dès les années 2000, ce que malheureusement Paris n’a pas fait et qu’il faut désormais rattraper.
La sanction avant l’incitation
En présentant son plan, la maire de Paris a fait le choix d’afficher d’abord le volet “sanctions” de la création d’une ZAPA sur tout le territoire de notre ville, avec l’interdiction de pénétrer sur le territoire communal, qui va frapper, à partir du 1er juillet 2015 puis jusqu’en 2020, les cars, les bus, puis les voitures, équipés de moteurs antérieurs à 2010. Quant aux mesures d’accompagnement, elles s’apparentent à un catalogue à la Prévert dont on mesure mal la portée et les retombées, et qui ne comprend aucune annonce de nature pédagogique, explicative, en direction des habitants. Or, nous pensons que l’incitation vaut mieux que la sanction, que dans tous les cas, elle doit précéder l’interdit, et que la progressivité vaut toujours mieux que la radicalité.
Une décision unilatérale
Ce qui frappe surtout, c’est que ce plan est imposé unilatéralement, en l’absence de toute concertation avec les élus de la métropole et de la Région, comme si l’air de Paris pouvait, par simple alchimie, être séparé de celui de son agglomération! Voilà bien où le bât blesse et qui donne raison à ce que nous répétons depuis des jours, et que plusieurs élus socialistes ont souligné, à commencer par Olivier Faure, député de Seine-et-Marne et Jean-Paul Huchon, président de la région Ile de France : ce plan, si louable dans ses intentions soit-il, va entraîner des injustices sociales et spatiales inadmissibles au sein d’une même métropole, et n’aura pas, en raison même de cette absence de solidarité et de concertation véritables, d’effets réellement efficaces. C’est une méthode détestable et égoïste qui fait renouer Paris avec ses pires habitudes de dédain pour la banlieue et ses habitants. Au regard de l’enjeu et à la veille du sommet sur le climat, mieux vaudrait privilégier la recherche de solutions efficientes et pérennes que les effets d’annonce et l’improvisation.
Une erreur de périmètre
Non, Paris n’est pas un sanctuaire isolé du monde. Paris est au cœur d’une agglomération où vivent, travaillent, circulent des millions de franciliens qui contribuent à faire de cette partie de France, une des zones les plus actives et créatives d’Europe. Agir seuls, c’est une fois encore être victime du syndrome de Tchernobyl et du splendide isolement : la pollution n’est pas figée, et c’est donc bien à un niveau supérieur, au moins le périmètre de la future métropole, qu’il faut mettre en œuvre un plan durable et efficace. Si l’ambition, et nous espérons que c’est le cas, est de réussir à améliorer sérieusement la qualité de l’air à Paris et de son agglomération, c’est sur un périmètre large qu’il faut travailler ; par souci d’efficacité et de cohérence, mais également par souci de solidarité avec ceux qui contribuent à l’économie parisienne mais qui, faute de revenus suffisants, sont obligés de demeurer loin de la capitale, là où les transports publics sont quasi inexistants et où, seule la voiture permet la mobilité.
Une ségrégation insupportable
Vérité d’évidence qui mérite d’être rappelée : c’est en grande couronne que le niveau d’équipement automobile est le plus élevé, deux fois plus qu’à Paris, et ce sont majoritairement les employés et les ouvriers qui utilisent leurs voitures pour leurs déplacements professionnels. La maire de Paris a-t-elle conscience d’exclure et de pénaliser ceux qui, les plus modestes, contribuent par leur travail, à la force de Paris et à son rayonnement? A-t-elle conscience que d’interdire aux camions de rentrer dans Paris, c’est délibérément polluer la banlieue? A-t-elle conscience de pénaliser de très nombreuses entreprises, dans le secteur du transport, le BTP, les artisans, implantés en bordure de Paris et qui ne sont pas forcément équipés d’une flotte de véhicules dernier cri? On peut déjà imaginer une première conséquence, un premier effet pervers et désastreux à cette politique : ces entreprises réserveront leurs véhicules propres pour Paris et les plus polluants pour la banlieue. Autre effet mal mesuré, celui des bus RATP, 4.500 qui fonctionnent pour la plupart au diesel avec une norme de niveau 3, visée par l’interdiction de 2017. Bien sûr, 300 ont été commandés qui seront de norme 6 mais il y a fort à parier que ceux-là seront réservés à Paris, reléguant les plus polluants en banlieue.
Pour réussir il faut reprendre, dans les mêmes termes, les méthodes qui ont marché ailleurs, notamment dans les 180 villes européennes qui sont parvenues à faire baisser sérieusement la pollution de l’air : la progressivité, la concertation et la pédagogie.
Une vraie concertation
La concertation d’abord, avec les villes alentour, pour mettre en œuvre un calendrier d’actions cohérentes. L’idéal étant que les communes qui composent le cœur de l’agglomération mettent en œuvre concomitamment des plans “basse émission” complémentaires, articulés, assurant l’efficacité de l’ensemble. En parallèle, il est indispensable que nous travaillions ensemble, avec l’Etat et la Région, à la résorption des points noirs de la circulation autour de Paris, ces fameux bouchons en forme de toile d’araignée, qui contribuent à fortement empoisonner l’atmosphère. Ajoutons également que des études doivent être conduites rapidement sur la couverture sud-est du périphérique où la concentration des gaz d’échappement est particulièrement forte. Et quand nous disons concertation, c’est bien au-delà des élus, car tous les acteurs concernés, usagers, entreprises, services publics, autorités de transports publics, doivent être parties prenantes au dispositif.
Un état des lieux précis et exhaustif
Afin d’aider à la décision et à sa réussite, il est d’ailleurs nécessaire de s’appuyer davantage sur les états des lieux existants de toutes les sources de polluants, afin de déterminer avec précision la part de leur contribution à la pollution de l’air, et de déterminer si besoin, des zones d’action prioritaire (les zones les plus touchées). Le diesel est bien sûr l’un des facteurs les plus dangereux mais des études affirment que les particules fines proviennent également de l’usure des matériaux (routes, freins, pneus…), de l’agriculture, et de plusieurs autres sources. Nous avons besoin de le savoir pour mieux partager le constat.
Une démarche pédagogique
Autre nécessité c’est évidemment de travailler en amont à une acceptabilité de la mesure par la population. C’est un véritable enjeu de société que de rendre l’écologie plus attractive. Cette prise de conscience, doublée de propositions incitatives comme la prime à la casse mieux ciblée sur les types de véhicules concernés et les zones les plus polluées, et modulée en fonction des revenus des ménages, est la seule manière de conduire une politique durable. Et ceci ne se fera pas sans l’Etat.
Une offre de transports publics à la hauteur
Troisième impératif et non des moindres, la question de l’offre de transports alternatifs à la voiture. Nous connaissons les difficultés de financement qui pèsent sur la programmation, renvoyant l’achèvement du Grand Paris Express à l’horizon 2030. Ce sera, à n’en pas douter, un des enjeux de l’élection régionale de la fin de l’année de proposer des solutions innovantes permettant d’accélérer le calendrier. Dans l’immédiat, il est urgent d’améliorer l’existant : horaires respectés, confort, propreté et qualité de l’air dans le métro, intermodalités améliorées y compris avec l’auto-partage, le vélo et la marche à pied.
La lutte contre la pollution est un des grands sujets de la mandature. Il faut donc à tout prix que le débat qui va s’ouvrir au Conseil de Paris permette d’avancer concrètement et efficacement. Pour ce faire, nous devons éviter toute démarche égoïste et construire ensemble, avec tous les acteurs de l’agglomération, mais aussi avec la Région et l’Etat, un projet ambitieux et solidaire. C’est dans cet esprit que nous proposons l’organisation d’un Grenelle de l’air.”
Publié sur le JDD.fr le 7/02/15 : http://www.lejdd.fr/JDD-Paris/Marielle-de-Sarnez-et-de-Yann-Wehrling-du-MoDem-Lutte-contre-la-pollution-de-l-air-a-Paris-nous-ne-reussirons-pas-seuls-716862