© Henri Garat/Mairie de Paris

Au moment où la prochaine loi Santé n’a pas encore passé l’épreuve du feu des urgentistes et des médecins généralistes, demandant à présent au gouvernement un « Grenelle de la Santé », la création d’une salle de consommation de drogue supervisée dans le 10ème arrondissement de Paris refait parler d’elle. Il est essentiel de réfléchir aux bénéfices et inconvénients potentiels de ce dispositif.

 

La sémantique ne trompe pas. Péjorativement appelées « salles de shoot », elles font polémiques et sont brandies comme l’épouvantail à moineau des politiques de réduction des risques. Car ces salles ne sont pas des lieux de débauche, mais des structures de soin et d’accompagnement à moindres risques.

D’où la nécessité de faire œuvre de pédagogie et de prendre le temps d’une réponse médicale et pragmatique.

La politique de prohibition traduite par la loi de 1970, qui interdit ce type d’expérimentation, a conduit tout logiquement le Conseil d’Etat à émettre un avis défavorable à l’égard d’un tel projet, soulignant la nécessité pour le législateur de réformer le droit existant.

C’est cette évolution, cette réforme dans les modes de prise en charge des publics usagers de drogues, que promet d’introduire le projet de loi de santé… dont l’examen devant le Parlement a été reporté sine die.

Cet ajournement se soldera-t-il par un abandon ? Un nouvel essai impossible à transformer ?

Il faut dire que cette initiative a été mise à mal à Paris par trop d’approximations, trop d’errements et un manque de concertation des riverains qui ont pu se sentir exclus du processus de réflexion et plus encore du circuit décisionnel.

L’objectif proposé est double : permettre par la mise en place de ces espaces une diminution du risque sanitaire de contamination par des seringues souillées, mais aussi tenter d’inclure dans un parcours de soin les populations de toxicomanes les plus marginalisées et les moins réceptives aux dispositifs de prise en charge des usagers de drogue.

En effet sur les 281.000 « usagers problématiques de drogues » recensés en 2011 par l’ODFT, l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies, seuls quelque 60.000 ont constitué la file active des Centres d’Accueil et d’Accompagnement de la Réduction des risques pour Usagers de Drogues (CAARUD).

Si le risque de contamination par le VIH persiste mais semble mieux contrôlé, en revanche la contamination par le virus de l’hépatite C reste un danger majeur. Ce risque de contamination concerne certes les usagers de drogues mais aussi leurs partenaires, et possiblement la population qui peut accidentellement se piquer avec une seringue souillée abandonnée. Si ce premier objectif est important il ne doit certainement pas être le seul.

Ces espaces de consommation contrôlée doivent être conçus et organisés afin de renforcer les possibilités de prise en charge médico-sociale des toxicomanes pour les aider à accéder à un parcours de soins.

Ainsi est-il primordial que ces lieux soient réalisés en partenariat avec des structures médicales identifiées et volontaires, ce qui n’est pas le cas du projet hautement médiatisé à proximité de la Gare du Nord à Paris.

Cependant le projet de loi de santé ne peut se contenter de préconiser un adossement de ces salles aux CAARUD. L’approche sanitaire ne saurait se passer d’un soutien logistique médical.

Il est indispensable que chaque patient consommateur d’héroïne, ou de cocaïne par voie veineuse, puisse trouver extemporanément, à sa demande, un soutien médical, ou un accompagnement social. Dès lors si ces structures permettent de soutenir ces deux objectifs essentiels d’évitement des contaminations virales des toxicomanes eux-mêmes mais aussi de la population, tout en favorisant les sevrages, alors l’expérimentation proposée mérite certainement d’être conduite.

Cependant qui dit expérimentation dit cadrage de l’évaluation. Les objectifs à atteindre, les méthodes de mesure, ainsi que le calendrier sont à concevoir de manière consensuelle, avec un comité scientifique d’experts et d’élus. A ce titre la durée d’expérimentation de 6 ans prévue par le projet de loi de santé contribue à ajouter de l’inquiétude à l’incertitude en pérennisant l’empirique, quand il s’agit d’en évaluer la pertinente et l’efficience, – ce que permettrait l’étude d’une mise en œuvre d’une à trois ans.

Cette exigence est d’autant plus nécessaire que depuis 2004 et le rapport de l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies, -dit rapport Hedrich-, aucune autre expertise scientifique n’a été publiée sur ce sujet mise à part l’enquête collective menée par l’INSERM en 2010

Les résultats de cette expérimentation devront être rendus publics pour décider de sa poursuite ou de son abandon, ou encore d’éventuels aménagements de manière à atteindre les objectifs précités.

La lutte contre la toxicomanie et pour la réduction des risques se doivent d’être un objectif partagé par-delà les clivages politiques. Les salles de consommation peuvent possiblement être un outil pertinent de ce combat à mener sans relâche mais cela reste à démontrer de la manière la plus scientifique, sanitaire et indiscutable possible, loin de toute considération idéologique.

A l’heure actuelle, le projet de loi bancal ne peut garantir le fonctionnement des salles de consommation de drogue, sans remédier aux questions d’adossement et de durée.
Il est temps pour le gouvernement d’écouter la parole des soignants.

 

 

François Haab, Conseiller de Paris (XIIème)

 

Publié sur le Huffington Post le 16/02/15 : http://www.huffingtonpost.fr/francois-haab/salle-de-shoot-loi-sante_b_6690540.html